"Si un jour existe une unité capable de mesurer la douleur et la souffrance, elle devra s'appeler Viêt Nam."

André Bouny              

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Ce texte succinct est tiré du contenu des conférences d’André Bouny lors du lancement du Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York (CIS) – qu’il constitue et préside –, au Centre d’Accueil de la Presse Étrangère (CAPE) Maison de Radio France, à Paris, mars 2005 ; aux Rencontres Internationales pour le Désarmement Nucléaire, Biologique et Chimique (RID-NBC) à Saintes (2004, 2006, et 2008) ; au Conseil des droits de l’homme (ONU), en mars 2007.

“La Guerre du Vietnam”, appellation inadaptée puisque le Viêt Nam a connu de nombreuses guerres, est, du point de vue de l’armement, la guerre majeure du XXe siècle. Ce conflit entre les États-Unis d’Amérique et le Viêt Công (au Sud) et l’Armée populaire du Nord-Viêt Nam issue du Viêt Minh communiste dirigé par Ho Chi Minh, lui-même soutenu par l’Union Soviétique, devient une exportation de la guerre froide entre les deux superpuissances de la planète : les USA voulant stopper le communisme en Asie tandis que l’URSS l’encourage. Le Viêt Nam est sacrifié, dans un effroyable carnage humain, en laboratoire de la guerre du futur.

Il y est déversé 3,5 fois le tonnage de bombes largué durant toute la Deuxième Guerre mondiale (6 fois si l’on considère le Laos et le Cambodge), soit l’équivalent de 450 bombes atomiques d’Hiroshima. Le territoire vietnamien porte les stigmates de vingt millions de cratères conséquents, les bombes étant tombées dans les cratères des bombes précédentes et ainsi de suite. Bombes de nouvelle génération à explosion, incendiaires, à effet de souffle, à dépression, à fragmentation… Prés d’un demi-million de tonnes d’engins n’ont pas encore explosé. Ces reliquats ont déjà fait plus de 100 mille victimes, surtout des enfants puisque près de la moitié de la population a alors moins de quinze ans. À Cu Chi, signifiant “terre d’acier”, situé à vingt-huit kilomètres au nord-ouest de Ho-Chi-Minh-Ville (ancienne Saigon), il tombe plus de 10 tonnes de bombes par habitant.

Les États-Unis s’enlisent.

Les combattants vietnamiens, invisibles et insaisissables, se déplacent sous la forêt tropicale. Les archives de l’armée américaine avouent 8 millions de sorties en hélicoptères, le plus souvent gorgés de napalm pour débusquer l’ennemi dans les villages de paillotes, sans obtenir de résultats probants. Mais l’Amérique est pressée. Sa jeunesse et celle du monde entier commencent à se soulever contre cette guerre. Aux Américains, on a promis la Lune… au Viêt Nam, ils vont la créer !

En 1961, John F. Kennedy occupe la Maison-Blanche, il décide l’opération Ranch Hand, (Ouvrier Agricole), c’est ce troisième nom de code militaire de l’épandage de l’Agent Orange au Viêt Nam, et sur les parties limitrophes du Laos et du Cambodge, qui restera dans l’Histoire. Il est donc décidé de raser la forêt tropicale de la surface de la terre ainsi que d’empoisonner les récoltes pour affamer les populations et les combattants, les unes soutenant les autres. Titanesque écocide qui fera disparaître à jamais de nombreuses espèces terrestres.

Dix années sont nécessaires pour pulvériser 74 millions de litres de défoliants – d’autres chiffres avancent 84 millions de litres [l’auteur proposera un nouveau calcul, jamais réalisé auparavant, aboutissant à 350 millions de litres]. Dix pour cent de l’épandage se fait à la main, par véhicule terrestre ou par bateau dans les deltas et les mangroves du littoral, 90% de la pulvérisation se fait par voie aérienne, à l’aide d’avion C 123, C 130, et d’hélicoptères. Il arrivait que les Vietnamiens n’aient alors pas d’autre protection que celle qui consiste à imbiber un tissu d’urine et à le poser sur le nez et la bouche.

Parmi ces défoliants, il y a l’Agent Bleu (contenant du cyanure), l’Agent Vert (dioxine), l’Agent Blanc (nitrosamine), l’Agent Pourpre (dioxine), l’Agent Rose (dioxine) puis l’Agent Orange (dioxine), appelés ainsi à cause des bandes de couleur sur les fûts contenant le poison. L’Agent Orange représente à lui seul plus de 62% du volume des défoliants pulvérisés sur le Viêt Nam. C’est pour cette raison qu’il devient le nom générique de la plus grande guerre chimique de l’Histoire de l’humanité.

L’Agent Orange contient la tétrachlorodibenzo-para-dioxine : Dioxine dite 2, 3, 7, 8-TCDD, à cause de sa composition moléculaire. Les dioxines sont constituées de 2 noyaux de benzène, 2 molécules d’oxygène et 2 molécules de chlore, de fluor ou de brome (quatre pour la variété la plus toxique). La Dioxine TCDD est le plus puissant poison connu – un million de fois plus toxique que le plus puissant poison naturel – et aussi un des plus durables.

Une étude de 2002 réalisée par l’Université Columbia de New York, révèle que 80 g de dioxine pure versés dans le service d’eau d’une ville peuvent tuer 8 millions d’habitants. La quantité (connue) communément acceptée déversée sur le Viêt Nam suffirait à exterminer 40 milliards d’êtres humains. Si une équivalence n’a rien de scientifique – puisqu’elle s’appuie sur une donnée pour faire une projection – elle a le mérite de frapper nos esprits pour saisir l’ampleur du désastre.

La Dioxine TCDD se mesure en picogramme (pg), c’est à dire en millionième de millionième de gramme (10ˉ¹² g). Cette infinie petitesse et sa complexité moléculaire lui assure une grande stabilité. Au Viêt Nam, elle est dans le sol, dans les boues, dans les sédiments, dans les nappes phréatiques et passe ainsi dans la chaîne alimentaire. On la retrouve en grande quantité dans les graisses animales, viandes, lait, œufs et poissons, car elle est liposoluble. Les scientifiques ont crée une unité empirique appelée TEQ – équivalent toxique – de façon à fixer une limite de toxicité pour la consommation des aliments. En France, la dose admise par kilo de poids corporel/jour pour une personne est de 1 à 4 pg. Aux États-Unis, la dose admise est plus drastique, elle est de 0,0064 pg, c’est à dire 160 fois moins que la norme française. Au Viêt Nam, cette dose peut atteindre 900 pg par kilo de poids corporel/jour par personne.

Comment la dioxine pénètre dans l’organisme ? La dioxine pénètre dans l’organisme par ingestion, inhalation, ou contact avec la peau. Le noyau d’une cellule est protégé par un “périmètre de défense” qui a le rôle d’empêcher les molécules n’ayant pas la structure requise de pénétrer le noyau et donc d’interférer avec son patrimoine génétique. Mais, au sein du cytoplasme cellulaire (c’est à dire l’ensemble des éléments de la cellule à l’exception du noyau) la dioxine se lie à une molécule naturellement présente dans toutes les cellules, le récepteur aryl-hydrocarbone, et va pouvoir pénétrer les défenses du noyau cellulaire en étant lue comme une hormone. C’est ce complexe dioxine-récepteur qui va brouiller les messages hormonaux de notre système endocrinien (c’est à dire l’ensemble des glandes endocrines à sécrétion interne rejetant la substance produite, appelée hormone, dans le sang) et va activer certaines régions de l’ADN, zones dites “sensibles aux dioxines” et entraîner ainsi l’effet toxique.

Chez la femme, la principale voie de déstockage de la dioxine à long terme est la mise au monde, chez l’homme, le sperme, engendrant de nombreux effets tératogènes. Ainsi des enfants naissent sans cerveau, avec deux têtes, sans yeux, avec des embryons de membres ou sans membre (phocomélie), parfois avec les organes externalisés… Même les personnes que l’on pense bien portantes souffrent souvent de dermatoses (chloracné, maladie de la peau caractérisée par des comédons, des kystes et papules ; hyperkératoses, hyperpigmentation-hirsutisme). De troubles hépatiques (augmentation des transaminases dans le sang, et du taux de lipides) ; de troubles cardio-vasculaires ; d’atteinte de l’appareil urogénital ; de troubles neurologiques (perte de la libido, migraines, neuropathies périphériques, atteinte des facultés sensorielles) ; ou de troubles psychiatriques (nervosité, insomnie, dépersonnalisation, dépression, suicide). Pensons à la dévastation psychologique des mères. Quand la dioxine ne parvient pas à traverser le placenta de la future mère et que l’enfant naît sain, la maman l’empoisonne en l’allaitant, car le lait maternel est aussi une voie de déstockage de la dioxine.

Effets invisibles aggravants : les vietnamiens pratiquent le culte des ancêtres de manière fervente. Ils souhaitent une progéniture capable de perpétrer ce culte. Si ce n’est pas le cas, une grande culpabilité s’installe envers les aïeux. On comprend alors pourquoi des familles qui avaient un, deux, trois enfants atteints de handicaps lourds en ont conçu un quatrième, un cinquième et un sixième et parfois davantage. On estime qu’un grand nombre de naissances ne sont pas répertoriées, les enfants sont “cachés”. Il faut comprendre l’épouvantable torture mentale des parents.

À Seveso, en Italie, le professeur Bertazzi et son équipe (Université de Milan) déclarent : « Nous commençons à percevoir d’étranges effets à long terme/…/une étude révèle un renversement complet de la répartition des sexes. Alors que dans la population générale on trouve un rapport de 106 mâles pour 100 femelles, à Seveso elle est de 48 filles pour 26 garçons. Signe d’une profonde mutation des métabolismes hormonaux. » Le sexe masculin a donc presque disparu de moitié.

Aujourd’hui, au Viêt Nam, la troisième génération est là et les gens sains de corps et d’esprit engendrent encore des nouveau-nés aux formes inhumaines. Le “Rapport Stellman” estime jusqu’à 4,8 millions le nombre de personnes directement exposées aux épandages. Il s’agit de victimes potentielles, ou silencieuses. Mais ce chiffre ne tient pas compte des victimes empoisonnées ultérieurement par la chaîne alimentaire. Les victimes passées, présentes – et à venir – se comptent par millions.

L’utilisation de cette arme de destruction massive chimique, tératogène et indélébile, par l’armée américaine demande “réparation”. Lors de la visite de Bill Clinton au Viêt Nam en 1999, la première du genre depuis 1975, les responsables vietnamiens ont évoqué l’incommensurable malheur de l’Agent Orange. La Secrétaire d’État, Madeleine Albrigth, a aussitôt “cimenté” la conversation en répondant qu’il faut des preuves scientifiques. C’est une façon de laisser le Viêt Nam seul y faire face. Une analyse pour rechercher la dioxine dans le sang coûte entre 3 et 4 mille dollars. Comment le Viêt Nam qui cherche les moyens de son développement peut-il assumer pareil budget ?

La Constitution des États-Unis d’Amérique ne permet pas de se retourner contre des actes de guerre perpétrés par l’US Army, même s’ils ne sont pas “autorisés” par la Convention de Genève, et plus largement le droit international. Il reste les fabricants des défoliants qui, en parfaite connaissance de cause – dès 1965 des laboratoires américains établissent les effets et conséquences sanitaires de la dioxine sur des rats – et pour leur plus grande fortune, fournissent l’US Army. Parmi les 37 sociétés qui fabriquent le poison, certaines s’appellent Monsanto, Dow Chemical, Uniroyal, Diamond, Thompson, Hercules… Le 31 janvier 2004, quatre jours avant que soient échus les 10 ans de levée de l’embargo qui interdiraient de ce fait tout recours selon la loi états-unienne, l’Association des Victimes de l’Agent Orange/dioxine Vietnam” (VAVA), et 5 victimes à titre personnel déposent une plainte au Tribunal de Première Instance de la justice fédérale américaine de New York dont le siège se trouve à Brooklyn-Est, État de New York. Au mois de septembre 2004, 22 autres victimes viennent s’ajouter à une liste qui risque d’être sans fin… La plainte déposée par Constantine P. Kokkoris, avocat à New York, engage une grande et complexe procédure. Grande car il y a beaucoup de plaignants, beaucoup d’accusés, beaucoup de faits se déroulant pendant une longue période. Il y aura des implications économiques, financières et sociales. Ce procès sera complexe tant au point de vue juridiction appliquée que de juridiction théorique. Le procès des personnes impliquées dans l’Agent Orange sera une première dans l’histoire de la justice américaine, et un procès dont on n’a pas de précédent légal.

Le 9 mars 2005, je lance le Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange et au procès de New York (CIS) au Centre d’Accueil de la Presse Etrangère (CAPE) dans la Maison de Radio France, à Paris. Le lendemain, le 10 mars 2005, le magistrat Jack Weinstein (qui a défendu les vétérans US victimes de l’Agent Orange et obtenu “réparation” pour eux) rejette la plainte des victimes vietnamiennes. Le 30 septembre 2005 sera déposé le dossier des plaignants à la Cour d’Appel du 2e Circuit. Le 16 janvier 2006, remise du dossier de la défense. Fin février, remise du dossier de réponse des plaignants. Premier mars 2006, rejet ou oral. Ça sent la Cour suprême… En ce moment, elle subit une recomposition en vue de la durcir. En effet, si les victimes vietnamiennes venaient à gagner au nom de toutes les victimes de l’Agent Orange (victimes du Viêt Nam, du Laos, du Cambodge, vétérans US, de Corée du Sud, de Nouvelle-Zélande, d’Australie, du Canada, celles qui vivent autour du point de stockage aux Philippines, etc.) ainsi que de la décontamination des territoires, la porte serait alors ouverte aux victimes de l’Uranium Appauvri d’Afghanistan, des Balkans, d’Irak…

Ces victimes, nos semblables, supportent des souffrances physiques et psychologiques particulièrement horribles. Ces enfants du Viêt Nam sont souriants comme tous les enfants du monde mais, quarante ans après le début de l’épandage de l’Agent Orange, ils "crèvent la gueule ouverte" !

 

Conférence d'André Bouny (D) au Centre d'Accueil de la Presse Etrangère (CAPE), Maison de Radio France, ses invités, Laurence Jourdan (C) journaliste, et William Bourdon (G) avocat
Conférence André Bouny, CAPE
Lancement du CIS, André Bouny, CAPE
André Bouny (RID-NBC)
RID-NBC, Natalia Mironova (Russie), Bruce K. Gagnon (Etats-Unis), Andre Bouny (France)
Intervention d'André Bouny (RID-NBC)
Andre Bouny avec Karen Parker, Conseil des droits de l'homme, ONU
Andre Bouny, à l'ONU avec des journalistes
Le jour de l'intervention d'Andre Bouny au Conseil des droits de l'homme, ONU
Le jour de l'ntervention d'Andre Bouny, Agent Orange Viêt Nam, Conseil des droits de l'homme, ONU

 

Agent Orange Viêt Nam

WWW.AGENT-ORANGE-VIETNAM.ORG

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